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Une pétition pour l'égalité salariale

15-12-2015  - avatar

Force est de constater que le nouveau Conseil fédéral ne montre pas l’exemple en matière de représentation homme/femme et reste en retrait en matière d’égalité salariale. Sa proposition, actuellement en...

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Ailleurs

Annick Blavier, une œuvre engagée

27-06-2017 Hélène Upjohn - avatar Hélène Upjohn

Il y a du mystère dans les collages d’Annick Blavier, les déchirures, les fragments, les situations que l’on ne voit pas en entier, les citations qui ont perdu leur auteur.e..Pourtant...

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Genre&Féminismes

Une pilule pour doper la libido féminine…

10-12-2015  - avatar

Les sociétés pharmaceutiques rivalisent d'ardeur pour mettre sur le marché une pilule qui stimulerait le désir sexuel chez les femmes. Sprout Pharmaceuticals a déjà obtenu le feu vert pour la...

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chronique féminista-voyageuse

Invisibles

Mercedes, sur les rives du Rio Negro, il est 15h, il fait très chaud. Nous nous réfugions dans un petit restaurant. Nous discutons des spécialités italiennes de la carte. Une femme, attablée à deux pas, sourit en nous écoutant. Nous nous perdons entre les agnollotis, les raviolis et les cannellonis. Notre voisine fait la grimace, s'agite sur sa chaise, puis, n'y tenant plus, plonge par-dessus nos épaules pour corriger l'approximation de nos commentaires gastronomiques. Une minute plus tard, elle nous raconte sa vie. Chantal aime parler français. Elle est née en Uruguay et y a toujours vécu. Mais elle se dit française, à moitié belge, à moitié savoyarde et encore pied-noire d'Algérie.
Toute à son enthousiasme, Chantal déroule en trois phrases l'histoire récente des colons «français» d'Uruguay. D'abord, au milieu du siècle dernier, la migration de villages entiers depuis la Wallonie, le Valais, la Haute Savoie et le Piémont : elle raconte la misère paysanne de l'entre-deux-guerres et la découverte de l’Éden des rives du fleuve Uruguay. Elle décrit le mythe de terres aussi vierges que fertiles. Les Indiens sont absents de son récit : c'était un monde simplement vaste et vide, où tout était à prendre, à force de travail. Un monde où la colonisation consistait en la fabrication d'un bonheur mérité, par et pour des gens pauvres et courageux. Puis elle parle des Français d'Algérie, pauvres eux aussi, qui fuyaient la colonie nord-africaine à la vieille de son indépendance. Une fois de plus, on ne parle pas des colonisé-e-s. Peuples indigènes d'Algérie ou d'Uruguay ? Chantal nous raconte la francophonie, le mélange des «Français» avec les autres peuples d'Europe qui ont construit, eux aussi, des villages colons sur le bord du fleuve. Elle critique Colonia Ofir, colonie allemande à trente kilomètres d'ici, où «ils ne se mélangent vraiment pas», mais évoque aussi l'anglaise Casablanca, la russe San Javier et l'allemande Nuevo Berlin qui sont «tout à fait intégrées et ouvertes». La semaine dernière, nous sommes passées par ces villages, où nous avons effectivement remarqué, plus nombreux qu'ailleurs dans le pays, les cheveux blonds, les yeux et les peaux claires. Chantal nous parle de migrations vieilles de deux ou trois générations, puis, sans transition, nous raconte avec autant d'enthousiasme la colonisation d'aujourd'hui. Se bousculent pêle-mêle les images des «ingénieurs européens qui viennent pour les usines», des fonds de pensions américains qui rachètent les «terres à eucalyptus» et des panneaux gouvernementaux annonçant, tout le long de notre route, la poursuite du «programme de colonisation». Chantal en est convaincue : «Ceux qui critiquent, c'est qu'ils sont jaloux». Ni gêne, ni honte, la raison de l'argent et du développement sont à l’œuvre. Je demande : «Mais qui critique ?». Elle cherche un moment : «Je ne sais pas... les autres... personne».
Nous avions lu que les Indien-ne-s avaient tous été exterminé-e-s, que l'Uruguay n'avait pas été une terre d'esclavage ou si peu. Mais Luna est indienne, charruas et elle nous le dit avec rage : «Des Indiens et des nègres ? Il y a beaucoup plus qu'on ne veut bien le voir. Ils ont honte : ce pays est tellement raciste que les rares descendants de ces peuples martyrisés nient leur filiation et insistent sur leur sang blanc». Nous découvrons l'architecture coloniale encensée par les guides touristiques. Chaque ville a sa «Calle (rue) Colon» et ses statues de conquistadors. Et la parenté du peuple uruguayen avec le monde européen est célébrée en toutes occasions. Il n'y a aucune honte de ce côté-là.

Deux jours plus tard, à force de questions, Javier nous parle des «guerres de pacification» qui ont eu lieu quelques centaines de kilomètres plus bas, au sud de Buenos Aires. Ici comme en Uruguay, l'enjeu de la colonisation était l'appropriation de terres et (donc) l'éradication du «problème» indigène. La capitale argentine rechignant à exposer ses troupes aux «sauvages», a fini par envoyer des armées d'esclaves déportés d'Afrique s’entre-tuer avec ceux qui défendaient encore leurs terres dans la pampa. Quoi de mieux pour étouffer la résistance des invisibles, que de leur opposer seconde armée d'invisibles?

Nous sommes invitées dans cette réunion indigéniste. Une femme tient un long discours sur la lutte pour la reconnaissance des peuples indigènes. Les mots se bousculent et je me concentre sur le décor : une petite pièce de sous-sol, aucune affiche au mur, la fenêtre bien calfeutrée, la lumière électrique. Nous nous sommes engouffrées là en prenant soin de faire comme tout le monde, dans la pénombre et en silence. Nous avons été accueillies chaleureusement mais avec chuchotements. Pourquoi cette discrétion ? Doit-on y voir les marques anciennes de la dictature, la peur qu'elle a scellée dans les cœurs ? Ou bien la revendication indigéniste est-elle, quand l'histoire officielle lui refuse toute existence, réellement subversive ? Les curiosités se tournent soudain vers moi, m'arrachant brutalement à ma rêverie. On me présente comme «militante» en France et on me demande si «nos» luttes ressemblent à celle-ci. Désarçonnée, je bafouille, lance des correspondances hasardeuses : «Le contexte historique n'est pas le même... Chez nous, on ne parle pas de luttes indigènes dans le même sens, on ne considère pas le territoire métropolitain comme la «conquête de terres indiennes», comme la spoliation des richesse autochtones... mais les colonies françaises se sont étendues à travers le monde entier et des voix s'élèvent depuis quelques années, qui se revendiquent «indigènes de la République» ou indigènes tout court. Ce sont des personnes issues de l'immigration, des anciennes colonies, notamment du Maghreb. Elles dénoncent la persistance du colonialisme dans les structures de l’État et des politiques industrielles, elles pointent le racisme intégré et institutionnel en France, le régime des frontières en Europe...». Je raconte par bribes les luttes de solidarité avec des personnes sans papiers, les mouvements dans les quartiers populaires, les liens entre exploitation, misère et racisme d’État. Et petit à petit me reviennent d'autres images. Des luttes auxquelles je n'ai jamais pris part. Celles des indépendantistes basques, bretons ou corses, qui parlent elles aussi d'occupation, d'oppression et de négation. Ai-je affirmé trop vite qu'il n'y avait pas d'Indien-ne-s sur le sol européen ? J'hésite à partager ces réflexions, j'ai peur de parler de ce que je ne connais pas. Mais le meilleur moyen de confirmer les puissants n'est-il pas de taire leur spoliations, de nier toute existence à ceux qu'ils veulent anéantir ?

Corned beef

J'ai quand même envie de parler du corned beef. En Uruguay, comme dans une grande partie des Amériques, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, on produit de la viande à perte de vue. Quatorze millions de bovins promis à l'abattoir dans un pays qui compte 3,5 millions d'habitant-e-s.


À Fray Bentos existe donc un «musée de la révolution industrielle», ancienne usine Frigorifico-Anglo, qui passa des salaisons traditionnelles à la fabrication «d'extrait de jus de viande». Elle a tourné un siècle exactement, lancée dans les années 1860 sous la houlette d'ingénieurs allemands et d'investisseurs belges, avant d'être rachetée par des capitalistes anglais qui mirent la clé sous la porte dans les années 1970. L'usine employa jusqu'à 40'000 personnes... la ville de Fray Bentos comptant actuellement 27'000 habitant-e-s.

Nous parcourons les immenses frigos, les salles remplies de cuves, de turbines, de rampes et de billots. Une odeur acre m'envahit quand Fiona, notre guide, nous décrit les méthodes pour laver les bêtes avant l'abattage et pour les pousser de force vers leur mort. 8'000 bêtes tuées par jour à certaines périodes, plus de 200'000 pendant en une année à la «meilleure» époque... Les boîtes de corned beef Anglo prirent leur essor grâce aux deux guerres mondiales et à la guerre de Corée pour nourrir aussi bien les soldats nord-américains et anglais que pour leurs populations civiles rationnées.


Fiona travaille au musée quelques jours par semaine. Elle est uruguayenne, mère de famille et veut changer de vie. Tout en nous déroulant «le cycle de la viande» elle nous confie qu'elle a un boyfriend à Londres et qu'elle est très heureuse de pratiquer son anglais avec nous : elle espère s'installer avec lui là-bas. Elle veut vivre un peu pour elle, après avoir vécu pour sa famille pendant quarante ans. Ses yeux brillent en nous livrant tout le bien qu'elle pense de l’Angleterre, tandis que je me remémore la colère d'Eduardo Galeano à ce sujet : Frigorifico-Anglo est pour lui l'exemple typique de la spoliation des richesses du Sud par les puissances du Nord : au temps de plein rendement de l'usine, 6'000 boucheries vendaient à Londres ses boîtes de corned beef, pour quatre fois le prix-usine, tout en laissant l’État uruguayen subventionner l'entreprise déficitaire. Je me concentre un peu pour dépasser ma répugnance de végétarienne et ma désapprobation de l'élevage, afin d'assimiler cette critique de l'imbrication entre capitalisme industriel et colonialisme.

Aujourd'hui, l'usine est fermée mais l'exportation de viande continue et de nouveaux abattoirs frigorifiques ont ouvert leurs portes comme à Casablanca, un peu plus au nord sur le fleuve Uruguay. Nous campons juste à côté et entendons les beuglements et les martèlements de métal tout au long de la nuit.

Le lendemain, je crois sortir de la boucherie pour contempler avec soulagement les chevaux sur la plaine. Mais Camilo, le dompteur de chevaux sauvages, me rappelle à la réalité : il dresse des chevaux pour le travail avec les bêtes. Ici, les cow-boys s'appellent «gauchos» et ils sont nombreux : l'élevage extensif signifie des milliers d'hectares à parcourir, alors on travaille à cheval. Camilo nous explique son travail, le temps passé dans les granges des estancias à dormir sur la paille et à se laver au seau d'eau, pour jour après jour domestiquer des montures qui n'ont pas encore vu d'humains de près. Il regrette la dernière innovation industrielle en date : la création d'abattoirs frigorifiques pour commercialiser la viande de cheval, qui a fait globalement grimper le prix des chevaux. Il y a peu, on pouvait acquérir un «potro» (cheval non débourré) pour 60 dollars US. Aujourd'hui, l'usine propose 600 dollars par bête et on n'en trouve plus à moins.

La tête me tourne de cette spéculation sur les êtres vivants que l'industrie transforme en produits et je ne suis pas sûre de vouloir remonter sur Tacuarembo pour assister à la pourtant très célèbre «Fiesta de la Patria Gaucha» où défilent cette année plus de 7'000 chevaux. Bien que ce soit une des rares ville du pays à porter un nom indien cette manifestation célèbre dans une ambiance très nationaliste la figure du gaucho (à ne pas confondre avec le gauchiste !) et des premiers colons tout à la fois. On y reconstitue comme à l'époque des maisons de village colon en torchis et en jonc, et des milliers de cavaliers y convergent pour s'exhiber en costume d'époque face à la foule.

Je me console en savourant une Fainá (galette de pois chiche frite), une pizzetas avec quatre centimètres de mozzarella et des pâtes fraîches ricotta-épinards : l’Uruguay compte de nombreux ascendants italiens et contrairement aux idées reçues, même si l'ambiance est gravement engloutie par la colonisation des pays riches, on ne s'y nourrit pas exclusivement de viande.


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