updated 6:51 PM CEST, Jun 27, 2017

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Emilie Jouvet livre The book

Photographe et réalisatrice, Emilie Jouvet propose à travers The book une oeuvre intime et puissante qui s'inscrit dans la lignée d'une Catherine Opie. Son lien particulier avec ses modèles renforce le côté charnel qui émane de ses portraits. Et la subtilité avec laquelle elle déconstruit et recompose les représentations du corps dans l'art témoigne d'une exigence absolue. Pour l'émiliE, elle revient sur certains aspects de son travail. Interview.

l'émiliE: Quel est le fil rouge de ton livre ?
Emilie Jouvet: Les regards, la peau, le désir, l'identité.

Comment as-tu sélectionné les images?
il y avait des images «emblématiques», que j’affectionne particulièrement, datant toutes d’époques différentes, qui étaient d’office dans la sélection. Pour choisir les autres images, j’ai parcouru des milliers de photographies que j’ai accumulées au fil des années. Ensuite je les ai mises au mur (l’appart en était recouvert du sol au plafond). En vivant au milieu de toutes ces images tout les jours, j’ai fini par discerner celles qui continuaient a attirer mon regard, et celles qui au contraire semblaient plus anecdotiques. Je les ai assemblées par paires, et ensuite l'une après l’autre, dans une continuité, qui est devenue le sens de lecture du livre.

Tes modèles ont souvent l’air de poser, pourtant tu ne travailles pas en studio. Tu recherches cet effet décalé?
En effet, la personne est toujours consciente que je la photographie, et cela est visible dans l’image. Je ne prends jamais de "photos volées".
Je ne prends pas non plus de photo où la personne fait semblant de ne pas avoir vu l'appareil photo, comme on en voit beaucoup (exemple : la personne se promène le nez au vent, l'air d'être seule et rêveuse, alors que dans la réalité le photographe est à un mètre de son visage, l'objectif pointé sous son nez).
Au début la personne attend souvent que je la dirige, ou prend des poses "convenues". Mais ce n'est pas ce que j'attends.
J'attends qu'elle prenne le pouvoir, le contrôle de son image, qu'elle se positionne en tant qu'individu.
Les personnes que je photographie se mettent elles-mêmes en scène dans un jeu complice avec moi.

Le décor des toilettes récurrent, le côté trash, c’est un parti pris ? Tu n’aimes pas photographier les lesbiennes et les trans dans des lieux chics et glamour ?
Non merci, la pub mainstream s’en charge déjà.
Il y a en effet quelques images prises dans ou devant des toilettes, car lorsque je prends des photos dans une soirée, c'est l'un des seuls lieux où on peux retrouver une certaine intimité, loin de la foule et du bruit.
Ce mot trash, je n'ai jamais compris ce que ça voulait dire, à part "poubelle" qui est la traduction littérale.
On est tellement habitué-e-s a voir des images trafiquées, des décors luxueux loués pour l'occasion, des lumières rajoutées dans tous les coins, du photoshop sur les corps, des vêtements coûteux, que quand une photographie est prise dans un lieu réel : une vraie chambre, un bar, un mur dans la ville, ça perturbe, car ça rompt avec les codes attendus de la photographie qui voudraient que tout soit magnifié, chic, lissé, aseptisé.
Personnellement, il me semble que le chic et glamour construisent une illusion... les drapés, le lyrisme, je trouve ça ringard.
Ca me fait penser à ces femmes qui achètent des tailleurs beiges et de faux sacs Vuitton pour "faire chic".
Je prends les gens en photo là ou ils se trouvent, là ou je me trouve.
Et je ne vis pas dans une poubelle, eux non plus. Je suis dans la vie réelle des gens, souvent de classe moyenne, pas dans une pub. Ce qui n’empêche pas le glamour, mais avec un éclat bien plus réaliste.
Pour moi le trash c’est les images de gens qui se font assassiner en direct aux infos à la tv, c’est les vidéos de torture d’animaux et de gays sur Facebook, c’est les propos sexistes, racistes et homophobes dans les médias, etc.

Ton approche est à la fois frontale et bienveillante. Qu’est-ce que ça raconte ?
Je prends en photo des personnes que j'aime ou que j’apprécie. Avec la complicité qui en découle, elles et ils peuvent se mettre en scène selon leurs propres désirs. C'est donc un regard que j'espère bienveillant.

Certains portraits en plan serré renvoient à Catherine Opie. Revendiques-tu des filiations artistiques ?
Une filiation pas vraiment, car j'ai découvert cette artiste bien après avoir commencé la photographie.
Mais je me sens faire partie d'un même mouvement, d'une même volonté de faire sujet nos identités passées sous silence, y compris et surtout dans le monde de l'art.

Le désir que tu photographies est-il toujours politique?
Le désir échappe aux normes. Mais la représentation du désir (des femmes, des minorités) est politique, dans le sens ou certains désirs sont sous-representés, censurés, cachés, déformés, mal-traités.

Exposer ces corps rend-il pour autant les individus auxquels ils se rattachent plus visibles ?
Oui.

N’y a-t-il pas un risque à ce que ton sujet soit systématiquement enfermé dans la case communautaire ?
Oui bien sûr, et c'est déjà le cas. Cela vient des deux côtés : les institutions qui considèrent que tous les sujets ont valeur d'Art, sauf celui-ci. Mais aussi d'une certaine forme d'homophobie interiorisée des lgbt, qui pensent encore que les oeuvres ou les artistes issus de leur communauté ont moins de valeur que les autres. De plus, les personnes que je filme ou photographie ne sont pas systématiquement des personnes lgbt, c'est assez varié. Du moment qu'il y a une série avec quelques photos de lesbiennes ou de gays plus ou moins identifiables, la tendance est de penser que les autres personnes sur les photos le sont aussi. Or je fais, la plupart du temps, des portraits, rarement des photos de couples. Il est impossible de déterminer sur un portrait l'orientation sexuelle ou le genre de la personne. En réalité, ce ne sont que de pures suppositions. Dans l'art contemporain institutionnel, sous couvert d'universalisme, on rejette souvent les œuvres non hétéronormatives dans une case «communautaire». Comme s'il y avait l’Art, le vrai, et des sous-catégories d'art mineur qui, à cause de leur sujet, ne seraient pas vraiment de l'art. L'art peut être source d'émancipation et de réflexion. La censure et le contrôle de l'image aident à maintenir une hiérarchie entre ce qui a de la valeur et ce qui n'en aurait pas, ou moins.

Les personnes qui parlent de communautarisme sont souvent celles qui appartiennent a la classe dominante. Souvent cela cache une impossibilité à remettre en cause ses propres privilèges. Renvoyer les personnes opprimées qui se révoltent ou qui réclament un droit à la visibilité au communautarisme, c’est refuser de reconnaitre l’existence de leur oppression.

En tant que Fem, dirais-tu que les gouines ont évolué par rapport aux différentes représentations de la féminité? 
Oui, ça évolue. Cependant, malgré tous les efforts d'explications, je crois que peu de gens comprennent encore aujourd'hui ce que veut dire Fem et Butch.
Dans l'esprit des gens c'est bien souvent perçu comme : cheveux courts vs talons aiguilles.
Alors que ce sont des identités politiques, et souvent féministes, qui n'ont pas seulement à voir avec les fringues ou les signes extérieurs de la féminité. Je suis fem et je porte des bottes en cuir, jamais de talons aiguilles. Et je connais des butchs et des trans ftm qui mettent du rouge à lèvre ou du mascara. Selon moi ce sont surtout les lipsticks qui bénéficient d'une meilleure acceptation, pas les Fems.



 

Lever le voile... ou pas.

Le voile, au coeur des polémiques depuis des années en Occident, fait l'objet d'une étude particulière. Bruno-Nassim Aboudrar, professeur d’esthétique à l’Université Paris-III, questionne le paradoxe d'un bout de tissu devenu symbole de l'islam, une religion qui interdit pourtant toute représentation. Son livre explique pourquoi l'Occident en fait un motif de crispation. Pour l'émiliE, il revient sur ce qui concerne les femmes.

 

l'émiliE: Surexposition des corps des Occidentales, voiles des musulmanes: depuis quand ces deux systèmes s'affrontent-ils et comment ? 

Bruno-Nassim Aboudrar: Pendant des siècles, ils ne se sont pas affrontés. Les Occidentaux paraissent même amusés et séduits les rares fois qu'ils rencontrent les usages vestimentaire des musulmans. A Constantinople au début du XVIIIe siècle, Lady Montagu juge le voile très commode pour se promener incognito et rencontrer des amants ; à la génération suivante, le peintre suisse Jean-Etienne Liotard adopte l'habit turc. Plus sérieusement, je crois qu'il faut replacer la question de l'exposition des corps féminins dans un contexte beaucoup plus large qui est celui de la place faite au visible, à ce que l'on montre, à ce qu'on laisse voir dans une culture donnée. Le corps féminin est, sans doute, "surexposé" en Occident, mais c'est sur un fond qui, d'une manière générale, fait prévaloir l'ostentation, la transparence, l'image, le spectacle, etc. Bref, dans une civilisation où la vue est investie d'un prestige majeur. Les cultures musulmanes, au contraire, se méfient du regard et valorisent l'opacité, la dissimulation, le respect de l'intimité, etc. Aujourd'hui, en apparaissant voilées, les musulmanes à la fois se soumettent au système visuel de l'Occident - elles se font voir -, tentent de le subvertir - elles font voir qu'elles sont cachées -, et sont tout de même récupérées par ce système - elles sont certes cachées, mais surtout elles sont visibles.

Pourquoi la femme, et plus précisément son corps, est-elle au coeur de cette lutte?

Les corps, pas seulement féminins, sont, en général, au coeur des luttes. Les normes vestimentaires masculines d'un islam idéalisé (et, à vrai dire, normé par l'Arabie au détriment de l'Afrique du Nord) reviennent également en force : barbes, kamiz, etc. En ce qui concerne les femmes, ce qui est nouveau pour l'islam c'est qu'elles jouent un rôle actif dans le processus d'affirmation visuelle de celui-ci. Depuis la fin du Moyen-âge, elles étaient recluses et privées de tout moyen d'expression publique.

Vous dites que le voile est devenu l'image de l'islam, n'est-ce pas un paradoxe ?


Si c'est un paradoxe, car l'islam refuse les images. Non seulement la fabrication d'images matérielles (par la peinture ou la sculpture) était pratiquement prohibée, mais il y a, dans la culture musulmane classique, le refus constant de faire image. Pas de monnaie à l'effigie du souverain, pas de fenêtres qui cadrent un paysage. Le voile des femmes servait à rendre celles-ci invisibles lors de leurs rares sorties. En aucun cas à symboliser une religion qui refuse tout symbole iconique. Or, en effet, aujourd'hui, l'image que l'on a de l'islam se confond avec celles qu'offrent les femmes voilées qui s'en réclament.
 

Historiquement, le voile est d'abord un symbole de soumission de la femme chrétienne, le Coran en parle à peine. Pourquoi devient-il un point de fixation entre le monde musulman et l'Occident ?

Vous avez raison. Le voile reçoit cette fonction symbolique, inconnue jusqu'alors dans le monde antique de Saint Paul. Dans la Première épître aux Corinthiens il exige des femmes qu'elles soient voilées pendant le culte pour respecter symboliquement l'ordre de la création qui les place au dernier rang. Plus tard, des Pères de l'Eglise développent la signification symbolique du voile chrétien : il est le témoignage de la soumission des femmes. Le Coran évoque très peu le voile, et ne le recommande aux musulmanes qu'une seule fois et pour un motif civil, ni religieux ni symbolique : se faire connaître et se faire respecter. Ensuite, la chrétienté et le monde islamique - le dar el-islam - se combattent parfois, mais ne s'opposent jamais sur le voile - d'autant que les très nombreuses nonnes catholiques sont voilées et recluses. Il faut attendre la colonisation de l'Algérie par la France (1830) pour que le voile deviennent progressivement un objet de conflit. Les colons reconnaissent dans le voilement des autochtones à la fois un défi à leur pouvoir et une source d'excitation libidinale. Ils multiplient les images, d'abord picturales, puis photographiques, où des musulmanes sont contraintes d'exhiber leur corps nu, dévoilé. Dans un second temps, au cours du XXe siècle, la volonté d'une partie du monde musulman d'accéder à la modernité passe par sa conformation aux normes visuelles occidentales. Il y a donc des campagnes politiques de dévoilement, autoritaires dans la Turquie d'Atatürk, violentes dans l'Iran de Reza Shah, beaucoup plus libérales en Egypte ou en Tunisie. Mais la fin du siècle dernier est marquée par la ré-islamisation du monde musulman, qui s'accompagne d'un retour du voile, devenu le symbole d'une critique des valeurs occidentales.

Aujourd’hui, les femmes musulmanes qui revendiquent le port du voile comme affirmation identitaire, ne sont-elles pas justement l'instrument de la domination masculine ?


C'est sans doute beaucoup plus compliqué que ça. D'abord, historiquement, la violence de certains dévoilements imposés aux femmes au XXe siècle, en Iran par exemple, mais aussi en Algérie pour les nécessités de la guérilla, est aussi grande que celle de certains revoilements plus récents. Ensuite, en Occident notamment, beaucoup de femmes choisissent de se voiler pour affirmer leur obédience religieuse, leurs affinités culturelles et éventuellement leur désapprobation des us ou des moeurs de leurs congénères non-musulmanes. Ce choix est libre (pour autant qu'un choix vestimentaire soit vraiment libre, suis-je vraiment libre de porter des pantalons ?), normalement réfléchi (ce qui ne veut pas dire intelligent), et je trouve dégradant à leur égard de décider à leur place qu'elles sont aliénées à la phallocratie. En revanche, elles opèrent un clivage entre les sens symboliques qu'elles attribuent au voile - représenter l'islam et les valeurs qu'elles identifient en leur religion -, sens qu'il n'avait jamais eu auparavant, et la fonction coercitive, purement instrumentale, qui est la sienne pour les femmes qui le subissent. Nous vivons tous avec des clivages comparables : quand on porte un t-shirt parce qu'il est joli avec un slogan "sympa" écrit dessus, nous n'assumons pas, en même temps, la souffrance des ouvriers asiatiques qui l'ont fabriqué ni la pollution qu'a occasionnée son transport, alors que par ailleurs nous réprouvons celles-ci.

Etre visible, n'est-ce pas une aspiration individualiste qui tend à se répandre surtout avec les réseaux sociaux ?


Oui et non : être visible, c'est nécessairement l'être pour autrui. C'est donc une aspiration à la fois individualiste et altruiste. En plus, les réseaux sociaux qui, comme leur nom l'indiquent supposent des sociétés, font de cet individualisme une attitude essentiellement collective. Donc de nos jours, c'est être invisible qui est vraiment individualiste - et c'est beaucoup plus difficile.

Les hijab tutorials (en anglais) qui pullulent sur Youtube inscrivent-ils le voile dans une normalité voire une banalité ?


Sans aucun doute. Une originalité banale, au même titre que les piercings, les tatouages et les lunettes de soleil.  

Les codes de ces tutus  qu'ils s'adressent à des jeunes filles voilées ou non, se ressemblent. Les systèmes de représentations se rejoignent-ils ?


Je ne le dirais pas comme ça. Les hijab tutorials relèvent, quant à leur système de représentation, exclusivement d'un seul ordre, normé dans la Silicon Valley. Il n'y a donc pas de jonction entre systèmes de représentation. A l'intérieur de cet ordre pour l'instant assez fixe, il importe au fond peu que l'on présente des hijab, des tatouages océaniens ou le savoir-faire des carmélites en gaufrage de cornettes. Ce qui serait subversif, ce serait la contestation sur Internet de la notion même de tutorial et des formes de (re)présentation qui la véhiculent, mais à ma connaissance, les charmantes E-plieuses de foulard ne l'ont pas encore inventée.

Bruno-Nassim Aboudrar, Comment le voile est devenu musulman, Flammarion, 250p.

La rumeur, arme de guerre

Les réseaux sociaux constituent de nouveaux territoires de lutte où s'affrontent sexistes et féministes. Les militant-e-s de tous bords ont très bien compris les effets démultiplicateurs qu'ils pouvaient tirer de ces nouvelles tribunes qu'offrent les plateformes du web. Pour les féministes, de nouvelles stratégies voient le jour, synonymes de visibilité et d'efficacité. Qu'elles soit hackeuses ou hoaxbusters, elles se livrent à une guerre sans merci derrière leurs ordinateurs et traquent les pires extrémistes de la planète. Des héroïnes en somme, mais plus nombreuses qu'on ne pense.

Si je vous di Lisbeth Salander, vous pensez piercings, tatouages, Stockholm et Millénium. Juste, mais rappelez-vous son talent devant un écran: Lisbeth est une black hat, une hackeuse qui entre par effraction dans les systèmes et réseaux informatiques. Même si ce n'est qu'un personnage de roman, Lisbeth Salander nous avait bluffé-e-s par ses prouesses informatiques. Pourtant une femme, de chair et d'os celle-là, lui avait en quelque sorte mis la puce à l'oreille et ce, dès le XIXe siècle : Ada Lovelace, qui a trouvé le premier algorithme pour machine, ce qui en fait la première programmeuse au monde. Mais ça c'était avant. Aujourd'hui, il existe une flopée de développeuses et certaines activistes utilisent leurs compétences pour lutter contre les discours sexistes, racistes ou homophobes qui circulent sur la Toile.

Parce qu'Internet constitue en effet un espace d'expression où certain-e-s considèrent que tout y est permis. Une aubaine pour les extrémistes qui, sans ce support, verraient leur message voué à rester confiné dans des cercles confidentiels. Aujourd'hui, ils parlent au monde entier et ne s'en privent pas. C'est le cas des groupuscules d'extrême droite ou de la Manif pour tous. Face à eux, la résistance s'organise et les féministes ne sont pas en reste. Les coups volent bas et la rumeur devient arme de guerre. Sur la toile, l'intox peut devenir info tant les médias classiques prennent pour argent comptant tout ce qui y circule. On se souvient la photo de la fameuse conférence de presse en Iran où les femmes journalistes étaient obligées de s'asseoir par terre, diffusée sur Twitter et abondamment reprise dans la presse avec les commentaires islamophobes qui allaient avec. Les sites d'extrême droite en ont fait leur gorge chaude. Sauf que des hoaxkillers (tueurs de rumeurs) ont trouvé des plans plus larges de la même conférence de presse où l'on voit clairement que d'autres femmes sont assises sur des chaises et que l'endroit étant bondé, les retardataires ont dû s'asseoir par terre, comme ça arrive ailleurs en pareille occasion.

Le 31 janvier dernier, un courageux anonyme du forum 4chan lance le mouvement pro-règles avec l'intention de s'attaquer aux féministes. Il l'appelle "operation #freebleeding" et reprend une idée née en 2004 sur le blog myvag.net : "Créons un truc énorme. Un truc de ouf. Portons un coup aux féministes à un endroit où ça fait mal. Ça va sûrement rendre folles ces féministes poilues de merde, parce que c’est sale et dégoutant, mais ce sera "leurs droits" et pas une oppression masculine." Le slogan : mon vagin m'appartient, mon sang est sacré. Il crée ensuite de faux profils Facebook et Twitter contenant le hashtag ≠freedbleeding incitant à lutter contre "l’oppression masculine derrière les produits d’hygiène corporels pour femmes" ou contre le tampon, un "instrument de viol inventé par les hommes". Plus le hoax est gros plus ça marche, puisque la rumeur est reprise le plus sérieusement du monde par des blogs (dont le très suivi Women digest) puis par des journaux. Entre temps des hoaxkillers féministes ont dévoilé l'intox mais la rumeur poursuit son chemin. Une de ces expertes de la traque nous explique pourquoi : "C'est difficile d'arrêter le bruit qui court. Il faut pouvoir débunker (dévoiler ndlr) le hoax le plus tôt possible, sinon il se diffuse de manière exponentielle et c'est dur de rattraper après". Selon elle, "certains laissent des signatures. On peut les reconnaître" et ainsi noyer dans l'oeuf l'hoax encore neuf. Le créateur du ≠freedbleeding était à l'origine du tumblr bikinibridge qui visait déjà les féministes. Il a vite été identifié.

La hoaxkilleuse précise que "nous aussi on fréquente 4chan et on croise les mêmes personnes que ces gars sur les réseaux". Pas si anonyme alors ? "Pas vraiment", selon elle, "surtout ils pensent que les filles, a fortiori les féministes, savent à peine ouvrir un ordinateur, alors qu'en fait, nous on peut aller dans leur ordinateur si on veut". Elle affirme que ce n'est pas si compliqué et que chaque citoyen-ne un peu curieux-ieuse est susceptible de se transformer en geek vengeur. Certes. Elle tempère ses propos en disant qu'au minimum, il peut pratiquer le baronnage : "Que font les adeptes de la Manif pour tous sur Amazon ? Du baronnage au sujet des livres à censurer du type Tous à poil! Ils postent les pires commentaires et notent au plus bas les livres. C'est systématique et ils floodent (innondent, ndlr). On n'a pas besoin de savoir coder pour se battre sur ce front, tout le monde peut le faire".

Si la mission des chasseuses de hoax consiste à rester vigilant-e-s, n'ont-elles jamais la tentation de passer elles aussi à l'attaque ? "C'est vrai qu'on est plus dans la défense, mais on peut s'amuser nous aussi à lancer des fakes (fausses infos, ndlr)" et de citer l'exemple ougandais : le site web Abril Uno révélait le coming out de la fille du président ougandais, deux jours après la promulgation des lois homophobes. Plusieurs médias ont repris l'info, mais étant donné le site américain, comme son nom le suggère, est spécialiste du faux, la presse a vite compris la supercherie.

Pour Carrie Rentschler, directrice de l'institut Genre, sexualité et féminisme de l'Université Mc Gil au Canada, "c'est une incroyable activité qui, ces dernières années, s'est peu à peu déployée sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, des féministes de plusieurs horizons ont recours à ces plateformes pour prendre position, communiquer entre elles, s'échanger des informations et organiser des rassemblements". Et les sociologues notent que les stratégies féministes s'adaptent à cette nouvelle donne. L'essentiel des luttes tend désormais à se faire sur les réseaux, les manifestations dans la rue n'étant que la pointe immergée de l'iceberg. Les féministes de la génération Y (celle des digital natives) se sont approprié-e-s ces nouveaux modes de communication et en ont saisi le pouvoir mobilisateur, entraînant leurs aîné-e-s dans leur sillage. Le féminisme viral a de beaux jours devant lui et semble terriblement efficace. Contrairement à ce que dit la presse généraliste annonçant régulièrement la mort du féminisme, la relève est assurée.



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