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Le masculin ne l'emporte pas sur le féminin

Le livre d’Eliane Viennot, sélectionné pour le prix Médicis,  s'inscrit dans une polémique récurrente et actuelle : le sexisme véhiculé par la langue française. Dans son ouvrage, l’auteure met à jour les origines et les mécanismes d’un système qui font que des générations d'écolièr-e-s répètent inlassablement que "le masculin l'emporte sur le féminin". Son remarquable travail d'historienne décrit le long effort des grammairiens pour masculiniser le français. L'entreprise, entamée au XVIIe siècle, n'a réussi à s'imposer qu'à la fin du XIXe avec l'instruction obligatoire. Depuis, les «experts» nous expliquent que ce masculin universel est une expression du neutre…


La dernière controverse sur le sujet est l’affaire du député français Julien Aubert refusant d’appeler Sandrine Mazetier «Madame la présidente» comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale qui aura mobilisé la fine fleur masculiniste et même l’Académie française. Cette dernière s’est en effet fendue d’une mise au point rendue publique le 10 octobre dernier. Il s’agissait ici de réaffirmer des dogmes plus que d’exposer des fondements scientifiques. Car, rappelons-le, la respectable Académie française ne compte ni linguiste, ni agrégé-e de grammaire, encore moins d’historien-ne de la langue. Comme le précise Eliane Viennot, la mission de cette assemblée pourrait tout à fait «être remplie, à moindres frais, par n’importe quelle commission d’universitaires spécialisé-e-s et habillé-e-s normalement». Mais c’est une autre histoire.


Pour l’auteure, le sexisme du français ne vient pas de la langue elle-même, mais bien des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes. La domination masculine à l’œuvre dans les règles et l’usage des mots montre à quel point tous les espaces sont passés sous contrôle. Ainsi, l’argument du neutre «masculin» remonte à Vaugelas en 1647 qui affirmait dans son traité intitulé Remarques sur la langue françoise que «le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble».

Pourtant, sous l’Ancien Régime, des mots féminins comme poétesse ou avocate étaient déjà courants, alors que l’Académie française s’enorgueillit d’avoir inscrit ce dernier au dictionnaire… en 1935. Eliane Viennot rappelle encore que les mots dérivent d’une racine et non d’une forme masculine à laquelle il faudrait couper ou ajouter quelque chose. A partir de n’importe quelle racine, le français est apte à faire des substantifs des deux genres, des formes verbales, des adjectifs, des adverbes. Le masculin n’est que le masculin. Avant l’intervention des masculinistes, la règle qui date de 1607 énoncée par Charles Maupas disait ceci : «Tout nom concernant office d’homme est de genre masculin, et tout nom concernant la femme est féminin.» (Grammaire françoise, contenant reigles très certaines). Antoine Oudin la précise en 1632 dans sa Grammaire françoise rapportée au langage du temps: «Tous les noms de dignités et d’offices appartenants à l’homme sont masculins : pape, évêque, empereur, roi, comte, conseiller, avocat, procureur, licencié, marchand...» De même, sont féminins les noms «d’offices et conditions appartenantes aux femmes : reine, comtesse, duchesse, abbesse, nonne, conseillère, barbière». On notera que les participes présents s'accordaient eux aussi à l'époque...

Les masculinistes peuvent toujours s’offusquer des changements que veulent introduire les féministes dans les règles de grammaire française au nom du principe d’égalité, ils oublient qu’eux-mêmes ont préféré rompre avec les usages du passé pour mieux s’imposer jusque dans les mots. Et lorsqu’ils dénoncent la féminisation, il faut d’abord y voir leur peur de perdre du terrain et du pouvoir. En fin de compte, et comme le conclut Eliane Viennot, s’agit-il de «féminiser la langue ? Non, mettre un terme à sa masculinisation».

Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Eliane Viennot, éditions IXE, 128  p.

"Je ne voyais que des peaux pâles"

Notre épiderme protège notre corps, mais il raconte également notre histoire, notre âge, notre identité. De couleur et de grain différents chez chacun-e d'entre nous, la peau est aussi la première surface où s’exercent des discriminations à l’intersection du racisme, du sexisme et du capitalisme. Un sujet d'Axelle magazine.


Matonge, quartier de Bruxelles qui concentre la population congolaise. Les boubous colorés des femmes, les effluves de poulet et le bruit des klaxons produisent un cocktail singulier. Matonge, c’est aussi des salons de coiffure et de beauté où les femmes aiment se faire bichonner en échangeant des confidences. Mais quand il s'agit de parler du blanchiment de la peau, appelé aussi dépigmentation volontaire, c'est le silence. Pourtant, cette pratique, qui consiste à s'éclaircir le teint, est courante.

En 2009, une enquête réalisée dans le quartier par le SPF Santé publique et l'association Ethnic Cosmethic, qui vise à sensibiliser aux dangers du blanchiment, constatait que sur 103 personnes interrogées parmi les habitants de Matonge, une soixantaine, majoritairement des femmes, y avaient recours. Avec des conséquences graves sur la santé : les crèmes blanchissantes contiennent des produits chimiques très puissants, notamment des corticoïdes, de l'hydroquinone ou du mercure, responsables de taches, de brûlures ou de vergetures sur la peau, et même de tumeurs et de cancers, de diabète ou d'hypertension. La peau est un organe qui a une fonction vitale, et si cette barrière de protection est abîmée, c'est tout notre corps qui peut en pâtir. "En Belgique, les produits blanchissants sont interdits", explique Didier Etile, cosmétologue et administrateur d'Ethnic Cosmethic. Et pourtant, "on peut les trouver très facilement, les contrôles ne sont pas assez réguliers." L'enjeu n'est-il pas suffisamment important ?

 
Blanchir c’est réussir

Le plus souvent, les femmes sont incitées par la pression sociale à utiliser ces crèmes pour "enlever des taches" qu'elles auraient sur la peau. "Les femmes, en tout cas dans la communauté noire, ne disent jamais ouvertement qu'elles utilisent des produits blanchissants", nous confie l’une d’elles. Le sujet est sensible car il soulève une histoire douloureuse, celle de l’esclavagisme et de la colonisation occidentale. "L’anthropologie a longtemps fondé la beauté sur la race en établissant une classification universelle. Première marque corporelle à retenir l’attention, la couleur a été utilisée pour classer l’espèce humaine en fonction de races distinctes censées être aisément reconnaissables : le "noir" était primitif, le "jaune" et le "brun" arriérés, et le "blanc", civilisé. Pour des raisons culturelles et sociales, de nombreuses sociétés considèrent la peau foncée comme un signe négatif", explique l’anthropobiologiste Gilles Boëtsch, auteur de plusieurs ouvrages sur le corps. Cette classification était de vigueur durant l’époque coloniale. Pour "réussir", la stratégie était de ressembler aux dominants, jusqu'à tenter de changer sa couleur de peau. "Cette idée persiste, s’indigne Didier Etile, "on se moque encore aujourd'hui de quelqu'un qui est trop "foncé" ! Dans l'imaginaire collectif, les femmes noires modernes devraient avoir les cheveux lisses et une peau claire..."

La problématique n'est pas spécifique aux femmes africaines ou d'origine africaine. On l'observe également en Amérique du Sud ainsi qu’en Inde, où les héros de Bollywood à la peau claire sont considérés comme supérieurs. Aux États-Unis, le débat, fruit d'une longue histoire d'esclavagisme, est particulièrement fort. La discrimination sur la couleur de peau – spécifiquement envers les peaux noires foncées – porte même un nom : le "colourism", un terme créé au début des années 80 par l'écrivaine et militante féministe Alice Walker.

 
Hâlée à tout prix

Non loin de Matonge, la chic avenue de la Toison d'or est bordée de boutiques. Les devantures affichent des images de femmes minces et hâlées, chapeau de paille sur la tête. Impossible de ne pas se sentir prise au piège : pour l'été, il faut des jambes dorées et un visage abricot. Pourtant, jusqu’au 19e siècle, la peau blanche était un symbole de réussite sociale, comme l’explique Bernard Andrieu, philosophe du corps. Le teint de porcelaine est alors l’apanage des femmes aisées tandis qu’une peau burinée par le soleil caractérise les paysannes.

Dans les années 60, "le look bronzé devient une obligation sociale pour être intégré sans se faire remarquer tant le marketing solaire définit le bronzage comme une hygiène de l’activité corporelle". Une peau hâlée révélerait ainsi la réussite sociale, les loisirs et les vacances tandis que la blancheur renverrait à "la mauvaise santé, l’enfermement et la dépression". Pas étonnant donc que certains n'hésitent pas à s'exposer des heures au soleil (naturel ou artificiel), faisant fi des conseils de prévention sur le danger des ultraviolets : l'exposition aux rayons du soleil ou aux radiations des cabines de bronzage est la principale cause de cancer de la peau chez les femmes à peau "claire". 

Par ailleurs, le bronzage est aussi au cur d’une rhétorique raciste. La peau "bronzée" "érotise le désir par son exotisme et par sa chaleur colorée", écrit Bernard Andrieu ; quant à la peau "noire", elle évoque la mythologie raciste de la femme ou de l’homme noir "dont la sexualité serait ensauvagée et coloniale". En réalité, "personne ne veut devenir noir, seulement noir de soleil, comme si le racisme maintenait la peau blanche dans une métamorphose colorée indéfinie." Bronzer, c’est bien vu, mais il ne donc faut pas l’être trop, sinon la peau risque de se confondre avec celle de l’immigré-e, qualifié-e, dans les discours racistes, de "bronzé-e".

 
Le business de la peau

Outre ces racines historiques et sociales profondes, le blanchiment est aussi directement ou indirectement encouragé par l'industrie cosmétique. Car, lorsque la "valeur" des femmes est mesurée à l'aune de leur apparence physique, les tubes de crème rapportent beaucoup d'argent Et la peau est en première ligne. "La publicité, en mettant toujours en avant des peaux claires, place les consommateurs sous pression", explique Didier Etile. Et les consommatrices en particulier. "L'industrie de la beauté, et son concept de "beauté universelle", a encouragé les peaux claires... Si bien que même les égéries "non-blanches" sont souvent des femmes métisses comme Beyoncé ou Rihanna, qui peuvent être identifiées tant du côté noir que blanc."

Heureusement, des femmes décident d’aller à l’encontre de ces définitions étriquées et occidentalisées de la beauté. En témoigne notamment cette récente déclaration de l’actrice mexicano-kenyane Lupita Nyong’o. Propulsée à Hollywood pour son rôle dans le film Twelve Years a Slave, elle a confié publiquement lors de la septième cérémonie des Femmes Noires d’Hollywood, qui récompense des comédiennes afro-américaines, avoir "prié petite pour avoir une peau claire" tant on se moquait d’elle avec sa peau "couleur de nuit". Aujourd’hui, elle appelle à plus de diversité sur les écrans et dans les magazines : "Je me souviens de l’époque où moi aussi, je ne me sentais pas belle. J’allumais la télévision et je ne voyais que des peaux pâles." Ce discours, parce qu’inédit et engagé, fut relayé et applaudi par de nombreuses associations et médias étasuniens. Et contribue à sortir de l’ombre les femmes "couleur de nuit".

 
Illustration © Julie Joseph
 


A lire

De quelle couleur sont les Blancs ?

À première vue étonnante, cette question qui sert de titre au livre est en réalité profondément provocatrice. Si on attribue une couleur aux "minorités visibles", la couleur blanche serait plutôt une classe sociale qu’une catégorie raciale. En réaction aux manipulations que représente le concept de "racisme anti-Blancs", les contributeurs proposent de multiples analyses et explorations autour d’un système de domination inscrit dans l’histoire et déterminant dans la perpétuation des inégalités.

Sous la direction de Sylvie Laurent et Thierry Leclère, La Découverte 2013.

 

Sous les casseroles, le sexisme



La cuisine n’est pas épargnée par le sexisme. Du contenu de nos assiettes à la répartition inégale des tâches culinaires, des stéréotypes sexistes jusqu’aux rôles différenciés dans les métiers de bouche, les fourneaux méritent un bon coup de torchon ! La cuisine est souvent une histoire de traditions : le lapin à la bière de Mamie, la crème anglaise de l’oncle Georges, le riz au poisson de la cousine Khady... On l’aime, on la déteste, on la délègue ; elle est un passe-temps ou une corvée. Une chose est sûre : elle est aussi une affaire de rôles et de liens sociaux. Par conséquent, truffée d’inégalités. axelle magazine a mis les pieds dans le plat.

Décortiquer la mère nourricière
Au quotidien, nombreuses sont les femmes à porter sur leurs épaules le poids des représentations sexistes. Parce qu’elles sont femmes, elles posséderaient le sens inné du service aux autres et de la cuisine altruiste. Aussi actives soient-elles sur les plans privé et professionnel, les femmes passent toujours deux fois plus de temps aux fourneaux que les hommes : six heures par semaine, contre deux heures trente pour les messieurs. La cuisine serait-elle toujours un grand livre de recettes au goût patriarcal ?

Selon Patricia Mélotte, doctorante en psychologie sociale et spécialiste de la question du genre (ULB), "d’une part, la société assigne aux femmes les tâches ménagères et les soins des enfants. Elles sont élevées dans ce sens. D’autre part, on attend d’elles qu’elles y montrent plus d’intérêt que les hommes. Le tout est intériorisé, de l’ordre de l’implicite."

D’après Dominique, 55 ans, "il y a une différence entre cuisiner et nourrir. Cuisiner avec un grand "C", c’est du plaisir, du bonheur. Nourrir avec un petit "n", c’est de l’ordre des obligations." Sabine, 42 ans, confie : "J’adore cuisiner mais à un moment, j’en ai eu assez d’entendre tous les jours, aux mêmes heures, le "Maman, on mange quoi ?", le "Chérie, tu as acheté quoi pour le souper ?" Je travaille à temps plein, je m’occupe seule des enfants et en plus, je suis responsable du bien-être de l’estomac de chacun. Je n’ai pas le droit d’être fatiguée. Un jour, j’ai explosé et j’ai décidé d’aller voir une psychologue pour m’aider. Je culpabilisais énormément d’avoir cette remise en question. J’avais l’impression d’être une mauvaise épouse, une méchante mère." Les rappels à l’ordre, directement énoncés ou sous-jacents, culpabilisent les femmes lorsqu’elles sortent des rôles imposés par la société. En cuisine et ailleurs.

Réduire le super-héros
La réalité n’est pas aussi acide pour toutes les femmes. Des couples mettent en place des stratégies pour réduire le poids des tâches quotidiennes. "Mon conjoint cuisine et moi, je m’occupe de la maison. Ça s’est fait un peu naturellement en fonction des goûts et des capacités de chacun", explique Marie, 30 ans. Mais dans les faits, le partage égalitaire ne serait pas si équitable car la charge du travail invisible, c’est-à-dire l’organisation mentale du foyer, est souvent assumée par un seul membre du couple, majoritairement la femme. "Elsa cuisine car elle aime ça et personnellement, j’en suis incapable. Elle me fait même des boîtes Tupperware pour les jours où elle finit tard. Mais la gestion quotidienne, c’est pour moi : la liste des courses, l’organisation du lave-vaisselle, le paiement des factures, aller conduire et rechercher notre fils à la crèche…", confie Stéphanie, 33 ans.

Caricaturons un peu : lorsque dans un couple, Monsieur cuisine, il se voit attribuer toutes les caractéristiques du super-héros. Il a confectionné une tarte aux oignons ? On l’applaudit. Une purée de carottes pour les enfants ? On l’acclame. Et aux reines de l’organisation vont les miettes de sa gloire… Ainsi que l’explique Patricia Mélotte, "quand les hommes se mettent à la tâche, ils sont souvent perçus comme des héros des temps modernes. Ils sont généralement davantage récompensés car ils sortent, au regard de la société, de ce qu’ils savent faire : investir la sphère publique et ramener de l’argent au sein du foyer." La chercheuse tient à préciser : "Les hommes qui s’investissent dans les tâches quotidiennes éprouvent aussi une forme de pression de la société. Ils culpabilisent à l’idée d’abandonner leurs prescrits d’hommes. On attend d’eux qu’ils soient plus investis professionnellement que les femmes." Comment dépasser les vieux clichés qui s’accrochent à notre épluche-légumes ? "On y arriverait vraiment en éduquant les enfants différemment pour que leur processus d’identification se fasse en voyant un papa et une maman se partager les tâches", plaide Patricia Mélotte. Le partage des tâches, et la gestion mentale du foyer…

Ficeler la notion de prestige
Inégalités aux fourneaux, sexisme dans les petits plats ! Au cours de l’édition française 2014 de l’émission Top Chef, les membres du jury – une femme pour quatre hommes – ne peuvent parfois pas s’empêcher de souligner le caractère "féminin" des assiettes de certaines candidates, un adjectif qui définirait plutôt les crudités que la charcuterie. En réalité, ce qui se cache derrière la soi-disant "féminité" d’un plat ne dépend pas du sexe de la cuisinière, mais de rôles sexués : aux femmes, la cuisine domestique, pragmatique, à l’abri du foyer ; aux hommes, le prestige de la gastronomie, de la technique culinaire, de la visibilité publique. "C’est vrai que mon homme a davantage tendance à sortir le grand jeu et à cuisiner quand on a des invités. On a l’impression que c’est Noël", ironise Christelle, 29 ans. "Les hommes ont investi l’univers de la gastronomie parce que c’était en dehors de la sphère domestique, donc non féminin, plus prestigieux", explique Patricia Mélotte.

S’il existe des cheffes reconnues, la bataille, pour elles, commence souvent dès l’école. "Pendant mes études, on avait tendance à considérer que les filles étaient plus fragiles, qu’elles géraient moins bien le stress en cuisine et qu’elles étaient, par nature, incapables de porter des casseroles lourdes. D’ailleurs, elles sont nombreuses à avoir choisi la salle et non la cuisine comme finalité", confie Olivier, 41 ans, professionnel dans la restauration. Les femmes cantonnées à leur rôle de serveuses, celles qui prennent soin des autres ? Aurore (nom d’emprunt), commise de cuisine dans un grand restaurant : "Je crois que la réalité est bien plus complexe. Ce serait réducteur de penser que toutes les femmes sont en salle. Dans certains établissements de standing, c’est même plutôt l’inverse. On a tendance à faire davantage confiance aux hommes pour le contact avec la clientèle. Une seule femme pourrait s’occuper des clients : celle du patron."

Caraméliser le postulat du physique parfait
Une autre réalité colle au secteur de la restauration : les femmes seraient un outil marketing. Ingrid (nom d’emprunt), serveuse dans un bar, le confirme : "J’ai été recrutée sur la base de mon physique. D’ailleurs, mon employeur ne sélectionne que des femmes pour le service. Notre physique met de l’argent dans les caisses." Et les femmes instrumentalisées pour appâter le client ont plutôt intérêt à rentrer dans le corset de la taille 38 !

"La cuisine pour moi, ce sont mes éternels problèmes de poids", témoigne Caro, 35 ans. Anorexie, boulimie, grossophobie : la société dicte aux femmes ce qu’elles doivent mettre dans leur assiette (attention aux calories !), en quelle quantité (peu, surtout pas entre les repas) et avec quelles manières (le dos droit et la cuillère légère).

Résumons : les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilité des estomacs familiaux. Mais quand elles veulent enfiler la toque de cheffe, on les retoque. Par ailleurs, leurs corps sont jugés, pesés et auscultés, ce qui les culpabilise d’aimer la bonne chère. Et puis quoi encore ?

Évider le sacrifice et les interdits
Quand la précarité nous tenaille, quand on a sous-estimé les quantités achetées ou que surgit une petite voix intérieure nous susurrant que nos proches n’ont pas eu assez, on se sacrifie. La fourchette pique, le couteau tranche, le bras se tend vers l’assiette de l’autre, l’enfant, l’invité. Comme si la capacité à partager ses protéines ne se conjuguait qu’au féminin ! L’anthropologue française Françoise Héritier l’explique clairement. Dès la Préhistoire, les femmes furent soumises à "un modèle archaïque dominant de pensée". Parce que leur corps était différent, les femmes furent catégorisées, confinées au sein de la sphère domestique, au service de la procréation et de la pérennité du groupe. Nourrir le clan par le fruit de leur cueillette, oui. Chasser, non : l’activité est technique, extérieure, virile, masculine (et lorsqu’on trouve des preuves de la participation des femmes à la chasse, on les passe facilement au presse-purée de l’Histoire).

En termes d’alimentation, Françoise Héritier le souligne : les femmes ont toujours été sujettes à des interdits. "Notamment dans les périodes où elles auraient eu besoin d'avoir un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes – je pense à l'Inde, à des sociétés africaines ou amérindiennes. Elles [les femmes] puisent donc énormément dans leur organisme sans que cela soit compensé par une nourriture convenable ; les produits "bons", la viande, le gras, etc., étant réservés prioritairement aux hommes. Ce n'est pas tant éloigné que cela de nos manières hexagonales : dans les années 40, dans ma famille paysanne auvergnate, les femmes ne s'asseyaient pas à table, mais elles servaient les hommes et mangeaient ce qui restait. Cette "pression de sélection" qui dure vraisemblablement depuis l'apparition de Néandertal, il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations physiques. A découlé de cela le fait de privilégier les hommes grands et les femmes petites pour arriver à ces écarts de taille et de corpulence, entre hommes et femmes." Au royaume de la nourriture différenciée, l’assiette des femmes ne compterait donc que trop peu de protéines et de calcium…

Cette inégalité dans l’accès aux nutriments est intégrée culturellement et symboliquement : on attend d’une femme qu’elle grignote gentiment les carottes crues que requiert l’entretien de sa taille menue, et non pas qu’elle dévore à pleines dents un rôti-mayonnaise arrosé d’un demi-litre de bière (en particulier si elle est jugée "grosse", auquel cas elle est supposée faire régime). Tout cela laisse le goût amer d’une société encore trop peu égalitaire !

Illustration © Aline Rolis pour axelle magazine

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